MONACO-PEILLE 1-0

Publié le par PEILLE 2008

Quand Monaco grignote la France

A l'étroit sur son territoire, la principauté cherche à accroître son patrimoine sur le sol français, notamment pour répondre à ses impératifs d'expansion économique. Par Rafaël Perrot 

Bien qu'il pèse 120 millions d'euros, le dossier traîne quelque part à la cour administrative d'appel de Marseille. Plus d'un an déjà que Cap-d'Ail et Monaco attendent la décision concernant la ZAC Saint- Antoine. Sur cette zone industrielle, la commune et la principauté attendent que le vaste ensemble immobilier qu'elles projettent depuis 1998 puisse voir enfin le jour. « C'est une opportunité pour nous, explique Xavier Beck de son bureau de maire. Je préfère loger des actifs qui travaillent à Monaco plutôt que d'avoir de nouvelles résidences secondaires qui n'apportent rien à la commune. » Car si la ZAC Saint-Antoine se situe bien sur le territoire français, son propriétaire se trouve de l'autre côté de la frontière, à Monaco. La Société immobilière domaniale (SID), qui gère le foncier de l'Etat monégasque, prévoit d'y réaliser 70 logements pour les ressortissants français qui travaillent dans la fonction publique monégasque, mais aussi une surface commerciale, une maison de retraite, une école et une salle des sports pour les habitants de... Cap-d'Ail. Un projet qui se veut « gagnant-gagnant ». 

Surtout pour Monaco, en fait. A l'étroit sur son territoire de 200 hectares entre mer et montagne, la principauté étouffe. Ses 32 000 habitants et 42 000 salariés pâtissent de son exiguïté. Si les projets intra-muros ne manquent pas, Monaco possède depuis longtemps des terrains, immeubles, entrepôts et centres sportifs hors de ses frontières. Pour l'essentiel, ils se trouvent sur les communes voisines de Beausoleil, Cap-d'Ail, Roquebrune-Cap-Martin, La Turbie, Peille et Eze. Une véritable bouffée d'oxygène. Depuis 1949, c'est la SID qui gère et accroît, discrètement, ce patrimoine. Une chose est sûre, Monaco possède plus de foncier en France que sur son propre territoire. « Nous n'avons aucune volonté expansionniste à l'étranger destinée à des usages mystérieux, précise Robert Colle, conseiller spécial auprès du conseiller du gouvernement pour les Finances et l'Economie. Mais il est certain que notre territoire est fort modeste, alors que nous avons d'importants besoins en matière de logements, d'activités et de terrains de sports. »  

Pour répondre aujourd'hui à son expansion, la principauté est surtout en quête de logements. A Monaco pour les Monégasques (un plan de 1 000 logements sur cinq ans est prévu) ; côté français, pour les salariés de l'Hexagone en poste ici. Ainsi, la SID possède 570 appartements à Beausoleil et Cap-d'Ail. Entre 1994 et 1999, la Caisse autonome des retraites a fait construire 341 logements sur ces deux communes, ainsi qu'à Roquebrune-Cap-Martin. « Notre politique d'acquisitions correspondait à une époque et ne devrait pas perdurer, assure Jean-Jacques Campana, directeur de la Caisse sociale de Monaco. Aujourd'hui, nous ne sommes pas en phase de prospection ou d'extension.» 

Un autre souci concerne les locaux de stockage des entreprises, destinés à limiter les convois de poids lourds dans les rues de la principauté. Cette préoccupation explique l'acquisition d'entrepôts au Parc d'activités logistiques (PAL), situé dans le hameau de Saint-Isidore, au nord-ouest de Nice, en contrebas de l'A8. Monaco y dispose de 19 000 mètres carrés sur les 24 hectares. « Cela correspond à nos besoins. Nous n'envisageons pas d'acheter davantage de surface », précise encore Robert Colle. 

Monaco, un bon payeur 

Par ailleurs, le Rocher investit dans le foncier et les équipements sportifs. Ainsi, la SID dispose d'un stade de football et d'une salle de gymnastique à Beausoleil, d'un tennis et d'un club bouliste à Cap-d'Ail, du Centre de loisirs Prince- héréditaire-Albert à La Turbie. Récemment , pourtant, elle a essuyé un refus poli mais ferme de Menton à propos d'un terrain qu'elle lorgnait pour y créer un stade de football. Du coup, Monaco paraît se replier actuellement sur la commune d'Eze et sa zone remblayée de 21 000 mètres carrés proche de l'autoroute. « Nous sommes en phase finale de négociations. L'acquisition devrait atteindre moins d'un million d'euros », confie Robert Colle. Outre 15 000 mètres carrés de serres et de cultures à Eze, la société immobilière domaniale possède encore 32 hectares à La Turbie, et la Caisse autonome des retraites y détient 2,35 hectares.

Bref, malgré les amputations géographiques qui jalonnent l'histoire de Monaco (Menton et Roquebrune en 1848), la principauté a su se constituer, au fil du temps, un patrimoine extraterritorial imposant, régulièrement agrandi ici ou là par de nouvelles acquisitions chez son voisin français. Il est vrai que les relations historiques, économiques, culturelles et familiales avec les communes limitrophes ont souvent favorisé ces transferts de propriété. « Les relations avec la principauté sont très bonnes », lancent poliment en choeur les maires des alentours... Ils assurent cependant n'avoir reçu ni offre ni demande depuis longtemps. Il en découle toutefois une regrettable confusion, au goût d'un maire des Alpes-Maritimes. « Beaucoup de mes collègues sont flattés de pouvoir intéresser et servir la principauté, relève-t-il. Je n'ai rien contre ce débordement des frontières, mais il faut veiller à maintenir un système d'échanges équilibré et cohérent. Car si les gens travaillent à Monaco, ils vivent au-dehors, ce qui représente un coût important pour les communes. » Une vision opposée à celle du maire de Cap-d'Ail, Xavier Beck : « Je n'ai pas le sentiment que la principauté fasse du forcing, mais qu'au contraire elle joue la discussion. » « Si on peut aider Monaco et que cela nous rapporte, pourquoi ne pas le faire ? interroge Georges Deorestis, maire de Peille. Simplement, il n'y a pas de régime de faveur ni de défaveur vis-à-vis de Monaco. » « Politiquement et électoralement, céder des terrains à la principauté serait une erreur pour nous », glisse Robert Vial, maire de Beausoleil, favorable à une opération mixte entre sa commune et Monaco sur le terrain de la Campagnette, où une vingtaine de logements pourraient être réalisés. « Il ne faudrait pas que Monaco soit en récession, car alors tout l'est du département serait au chômage », avertit Nicolas Bassani. Maire de La Turbie, il loue les terrains d'entraînement à l'équipe de football monégasque.

Ainsi, vendre des parcelles d'un patrimoine communal au Rocher soulèverait à présent quelques foudres. Et les élus semblent désormais se l'interdire. Georges Deorestis l'a vécu à ses dépens, en février dernier, lors du rachat de 54 hectares sur Fontbonne, à Peille. Selon un agrément entre Paris et la principauté, l'Etat monégasque a pu racheter pour 3,2 millions d'euros ce terrain à Monte-Carlo Radiodiffusion (MCR), propriété de la France depuis le rachat des parts de MCR par Télédiffusion de France (TDF). Beaucoup ont cru que la commune bradait alors son territoire. Et il ont exprimé leur irritation à monsieur le maire. « Ce terrain ne nous appartenait pas, nous n'avions donc pas notre mot à dire », répète-t-il encore aujourd'hui. Pourtant, intéressée par une telle occasion, sa commune avait écrit à MCR pour obtenir plus de détails. « On attend toujours la réponse », explique- t-on à l'hôtel de ville... 

Reste que se retrouver face à un acheteur comme la principauté ne manque pas d'intérêt. « Pour les communes pauvres, c'est une bonne occasion de renflouer le budget municipal », avoue un élu communal. Car, bien entendu, Monaco est bon payeur. Très bon, même, parfois. Nul n'ignore ses besoins d'espace. La principauté est à l'affût de la moindre occasion et certains promoteurs privés en profitent pour faire flamber les prix. « Mais il ne faut pas prendre le Rocher pour l'oncle d'Amérique », tempère Xavier Beck. Robert Colle, le conseiller spécial monégasque, ne cache pas que son Etat est « régulièrement sollicité ». « Mais pour nos acquisitions, nous menons une politique de bon père de famille, et non de spéculation. Nous ne raisonnons pas comme un particulier, mais nous agissons dans l'intérêt de l'Etat à moyen et long termes. Nous recherchons des terrains d'intérêt public majeur, sans prendre de risques. » Et d'ajouter : « Notre préoccupation aujourd'hui, c'est la ZAC Saint-Antoine de Cap-d'Ail. Certes, les gens savent que Monaco possède de l'argent, a des besoins et n'est pas mauvais payeur. Pourtant, nos finances ne sont pas illimitées ». Autrement dit, la principauté veut bien acheter, mais pas n'importe quoi ni à n'importe quel prix.

Aujourd'hui, cette partie de Monopoly internationale devient de plus en plus difficile pour Monaco dès lors que les espaces disponibles chez les voisins français font cruellement défaut, y compris pour les communes. Et entre la loi Littoral et la loi Montagne , les possibilités de construction se réduisent comme peau de chagrin. Alors, à quoi rêve plus particulièrement aujourd'hui la principauté ? Aux 4 hectares de terrains d'entraînement de l'ASM sur La Turbie ? « C'est vrai qu'on aimerait bien les acquérir plutôt que de les louer à fonds perdus », avoue Robert Colle. Mais ce ne sera pas pour cette fois puisque, à l'expiration prochaine du bail emphytéotique, la commune devrait le prolonger en révisant le loyer à la hausse. Tant pis pour le Rocher !

 

 © le point 31/10/03 - N°1624 - Page 408 - 1494 mots 

Publié dans ECONOMIE

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